(Suite de l'épisode précédent)
On procède donc aux discussions des opposants à la retenue qui sont rapportées par l'ingénieur en charge du rapport.
Tout d'abord, le sieur Louis Chauveau, possède un petit pré qu'il trouve noyé par les récents travaux exécutés par le baron de Saignes. La cote du plan d'eau, au droit de ses prairies, est de 8.366 (par rapport à la cote locale 10.000 définie dans le précédent article). Il est rappelé que les points les plus déprimés de ses prairies se situent aux cotes 8.356 et 8.406. Il en résulte que, pour cette partie, le fond de cette dépression (d'une surface qui ne dépasse pas l'are et demi), se trouve à moins de 0,16 m sous le niveau d'eau (0,16 m étant le maximum que la circulaire de 1851 recommande). Il est donc prescrit de conserver en l'état le site. Et l'ingénieur en conclut : "Bien que Monsieur Chauveau soit seul juge de ses intérêts, il semble que l'abaissement du plan d'eau qu'il faudrait réaliser pour mettre les points bas à 0,16 m en contre-bas du niveau des eaux, causerait au protestataire un préjudice autrement considérable que celui qui peut résulter d'un excès d'humidité dans le fond de cuvette dont il vient d'être question".
Le sieur Belhoir, intervenant suivant, a un intérêt particulier à donner son avis à l'enquête public, parlant pour sa mère, propriétaire du moulin de Savigné, en aval de Périgné. Il demande à ce que le moulin de Périgné soit réglé comme le fut celui de Savigné, vieille querelle qui dure, souvenez-vous, depuis 1861.
Les dernières discussions concernent les habitants des villages du Chaffaud et de Chez Rantonneau. Au vu de leur pétition, les intéressés demandent la création d'un "déversoir aux chaussées du moulin de Périgné, de manière que le seuil de la fontaine du Chaffaud soit découvert dans son état normal, comme elle l'était quand le moulin marchait." L'ingénieur se penche donc sur la situation de cette fontaine, en se questionnant sur le niveau de retenue lorsque le moulin était en activité.
Il s'intéresse à une pièce officielle dressée le 17 juillet 1855, qui lui donne, après conversion des références de cote, un niveau d'eau établi à 8.375.
Le niveau d'eau au niveau de la retenue, rappelons-le, est de 8.358 lors de la réalisation de l'enquête, soit 1,7 cm plus bas que le niveau constaté 40 ans plus tôt. "La différence est absolument insignifiante", juge l'ingénieur, "et on peut affirmer que la retenue du moulin de Périgné a été établie à son ancien niveau", ce qui est confirmé par l'étude pour l'autorisation de la restauration des ruines, en 1893, réalisée par le baron de Saignes : à ce moment-là, le seuil de la vanne motrice existait encore malgré les ruines.
On est donc en droit de conclure que, contrairement à ce que peuvent penser les habitants du Chaffaud et de Chez Rantonneau, la retenue du moulin de Périgné n'a pas été surélevée.
Il faut en déduire qu'avant "la destruction du moulin, la fontaine du Chaffaud était normalement submergée, et qu'il n'était pas possible de se servir des lavoirs, sauf en été, pendant les grandes sécheresses, à la fin des éclusées et suivant la volonté de l'usinier". C'est ce qui est déclaré par Texereau, l'ancien meunier, et que réfute Gendraud, auteur de la pétition, allant même jusqu'à des discussions plutôt violentes. L'ingénieur relève la différence entre le cadastre napoléonien (n°371), qui établit la présence de la fontaine sur une parcelle cadastrée, et son observation réelle, où la fontaine, sans le moindre doute possible, est dans le lit de la Charente :
- ou bien, à l'époque où le cadastre de Savigné a été dressé (1830), la fontaine se trouvait dans la même situation qu'aujourd'hui, et alors on ne s'explique pas qu'elle ait été cadastrée, puisque naissant dans le lit de la rivière, elle devrait être considérée comme "res nullins" au même titre que le lit lui-même,
- ou bien la fontaine en question est distinct de la Charente et est séparée de celle-ci par des ouvrages qui la mettaient dans une certaine mesure à l'abri des inconvénients que présente, par son utilisation, le niveau de la retenue du moulin de Périgné, auquel cas, on ne peut qu'engager les intéressés à faire le nécessaire pour rétablir l'ancienne situation des lieux.
AD86 en ligne, Cadastre Napoléonien, Section G du Bourg, Feuille 1 |
Le cours de la fontaine semble d'ailleurs avoir été modifié d'une manière sensible, et ses eaux semblent avoir pris une autre direction, soit par la suite d'un manque d'entretien, soit par suite d'un abaissement prolongé du niveaux des eaux pendant le temps que le moulin a été abandonné. Le débit de la fontaine est en effet insignifiant et de nouvelles sources se sont formées un peu à l'aval, toujours dans le lit de la rivière et à toucher le coteau de la rive droite.
C'est du moins l'hypothèse de l'ingénieur à l'époque. Me permettez-vous d'ajouter, à titre personnel, que le sous-sol peut très bien s'être modifié de lui même entre l'établissement du cadastre et l'étude présente : on sait que les coteaux du Chaffaud sont creusés de galeries souterraines, comme je l'avais signalé lors de l'un des épisodes précédents. Peut-il y avoir eu un éboulement souterrain, une modification de cette structure qui a fait dévier le cours de la source ? Et vous, qu'en pensez-vous ? Après tout, en mars 1927, un effondrement de la route passant en crête de ces coteaux aura lieu, révélant une galerie.
La veuve Texier, propriétaire du moulin donc, avait pour but de terminer le différend à l'amiable, et avait fait plusieurs propositions :
- de renfermer les nouvelles sources de manière à les séparer de la Charente,
- et/ou de modifier les anciens lavoirs de la fontaine, pour le lavage en hiver, et d'en construire un près de la Charente pour l'été.
Elle s'engageait à supporter toutes les dépenses, mais il n'en a rien été : ses offres ont été refusées, et l'ingénieur s'interroge sur l'accueil qu'elles ont reçu.
Quoiqu'il en soit, Mme Texier, aussi fière que ses opposants, insista pour conserver la retenue actuelle.
Dans le même temps, les habitants de Chez Rantonneau et du Chaffaud réclamaient l'abaissement de cette retenue d'au moins 0,16 m, afin d'amener le niveau de la Charente à la cote 8.351, qui était, selon eux, le niveau à l'époque où le moulin de Périgné fonctionnaire, ce qui contredit l'étude de l'ingénieur (et lui ferait admettre une erreur de 0,19 m, entre le rapport de 1855 et le sien, inadmissible)
Le maintien de la retenue est préconisé car le niveau actuel présente un intérêt non seulement pour la veuve Texier, mais encore les riverains de la Charente, entre les chaussées de Périgné et le moulin de la Baronnière, sur une étendue de plus de 3 km de rives. On jugera aussi par la protestation collective de 52 propriétaires, fermiers et colons, des villages de la Chauvellerie, du Magnou, de la Garde, de Chez Chauveau, de Chez Brumelot et de la Baronnière.
Le problème épineux, qui finalement divise en deux groupes une partie des habitants de la commune de Savigné, allant jusqu'à user de violence, ne paraît pas avoir une autre importance que la question du lavage du linge. Après tout, cette opération peut et pourra toujours s'effectuer aisément sur les bords de la Charente !
L'ingénieur finit sur la problématique d'alimentation en eau potable et d'épidémie de dyssenterie qui aurait sévi au Chaffaud et à Chez Rantonneau : il faut croire cependant que les faits signalés étaient d'une gravité toute relative, puisque l'autorité municipale ne s'en est jamais émue, et qu'elle a déclaré officiellement que, depuis un ans, elle n'avait connaissance d'aucun cas de dyssenterie dans ces deux villages.
L'ingénieur ordinaire en charge du règlement sur l'eau conclut son rapport, daté du 24 octobre 1896, au maintien de la retenue à son niveau actuel.
Inutile de vous dire que la question ne fut pas réglé, loin s'en faut. Des courriers de sous-préfet à préfet, de préfet à ministre de l'agriculture, furent envoyés (1897).
Finalement, par un arrêté de mise en demeure en date du 3 novembre 1897, il est demandé à Mme Texier, dans le délai d'un mois, de procéder à un arasement d'une épaisseur de 15 mm sur une longueur de 25 m dans la chaussée de la rive droite !!
Et quand bien même, par procès-verbal de récolement du 25 janvier 1898, il est observé que Mme Texier ne s'est pas conformée aux prescriptions : la longueur du déversoir atteint 25,4 m au lieu de 25 m, et un arasement supérieur à 3 mm par rapport à la hauteur préconisée !!
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